Justice et Paix Haïti interpelle le Premier Ministre du pays

Publié le par FranceHaïti

Nous reproduisons ci-dessous la lettre ouverte envoyée par le Père Jan Hanssens, directeur de Justice et Paix Haïti, au Premier Ministre, Monsieur Jean Max Bellerive.

Des propositions concrètes qui explicitent davantage

la lettre ouverte de la Commission Justice et Paix

au Premier Ministre Jean Max Bellerive

concernant les urgences

 

Suite à notre lettre ouverte du 26 janvier 2010, des personnes qui en ont pris connaissance nous ont demandé de formuler des propositions concrètes.  Nous les faisons à partir de nos observations et expériences parmi la population victime du séisme.

 

Notons des mesures appropriées qui ont été prises :

·         Rétablir le trafic routier, libérer les principaux axes routiers ;

·         Assurer la distribution du carburant ;

·         La distribution de l’eau ;

·         Des mesures d’urgence comme retirer les cadavres ;

·         Assurer l’accès à l’argent cash (maisons de transfert et les banques) ;

·         Créer de l’emploi, par exemple par des programmes « cash for work ».

Par contre, ce qui manque terriblement :

·         La communication régulière et claire de la part du Gouvernement ;

·         Une information claire sur le comment de l’organisation de l’aide ; comment se fait la coordination, surtout l’aide alimentaire ;

·         La présence et les activités des services de l’Etat comme l’EdH ;

·         Définition de l’Etat d’urgence et informations sur les mesures prises.

Il faudra des dispositions /décisions, surtout des concertations claires et transparentes :

·         Concernant les écoles et les universités ;

·         Les Pouvoirs de l’Etat et les élections.

 

Quelques propositions suite à la Lettre ouverte au Premier Ministre :

 

1.      Améliorer la communication du Gouvernement avec la population

Trois semaines après le séisme nous constatons un déficit de communication claire et convaincante du Gouvernement avec la population.  Quelques propositions pour l’améliorer :

·          Un point de presse journalier (ou chaque deux jours) avec obligation faite aux organes de presse d’y assister et d’en faire la transmission.

·         En matière de communication, il faut qu’on explique ce qu’on va faire, et on rapporte sur les activités de la journée passée.

·         Le porte parole officiel du Gouvernement doit expliquer de façon claire et sans mensonge, dans un créole accessible à la population, les informations que le Gouvernement doit communiquer, les dispositions prises et leurs motivations, etc.…  Il faut absolument que les informations soient rationnelles et crédibles.

·         Des radios mobiles visitent les centres d’hébergement pour informer la population.

·         Des points à clarifier sont :

o       L’organisation de l’aide humanitaire.  Comment se fait la distribution ?  Qui intervient où ?  Y a-t-il des points ?

o       Comment se servir de l’aide alimentaire, les rations pour des urgences, les nouveaux produits, leur valeur nutritive et la façon dont on s’en sert…  (Pour les gens, culturellement, nourriture signifie un plat chaud avec du riz et sauce pois).

o       Les morts : où sont allés les cadavres ramassés à la hâte ?  Que va-t-on faire pour permettre aux gens de se souvenir de leurs morts ?  Il faut annoncer la création d’un Parc du souvenir à Titanyen, à Mariani et ailleurs ( ?) où les corps ont été enterrés à la va vite.

o       Les zones pour déposer les déblais : maintenant, il  semble qu’il n’y ait aucune disposition arrêtée.

o       Les projets pour le proche avenir : les relocalisations … pourquoi sont-elles nécessaires ? Où seront-elles faites ? Quelles seront les mesures d’accompagnement ? 

·         L’information doit être véridique et sans démagogie.  Citons à titre d’exemple la question de l’insécurité.  Les 4500 évadés du Pénitencier national ne sont pas tous des criminels.  Ce serait oublier la détention prolongée illégale dont de nombreux détenus étaient victimes.

 

2.      Définir et rendre public le contenu de l’Etat d’urgence, qui vient d’être prolongé.  Serait-ce seulement un temps où le Gouvernement fait ce qu’il veut ?  Y a-t-il des comportements citoyens à observer ? Exemple :

·          La priorité dans le trafic dont jouissent la PNH en service et les ambulances pourrait être étendue aux camions citernes, aux équipes médicales et aux convois avec de l’aide alimentaire.  Faut-il des jours ? des routes réservées ?

·         Des décisions qui concernent les relocalisations.

·         Définir clairement la chaine des responsabilités : qui est responsable de quoi ?

·         Définir et rendre publics les mécanismes de contrôle contre la corruption, l’enrichissement illicite, le détournement de l’aide.  (Il est nécessaire que les citoyens et les organisations de défense des droits humains, par exemple, disposent des moyens pour dénoncer et pour porter plainte … même après la période d’urgence.)

·         Définir et rendre publiques des mesures contre les agents de l’Etat qui abandonnent leur poste, qui ne sont pas disponibles pour les services nécessaires à la population, qui se servent de leur position pour exiger de l’argent pour des services qu’ils doivent à la population (ex. les juges de paix, les commissaires, les greffiers, etc.).

·         Des mesures spécifiques qui concernent les agents de la PNH et les forces de sécurité.

 

3.      Améliorer la coordination de l’aide et des interventions

·         Il faut un lieu où l’on coordonne et traite les informations avec un responsable connu publiquement.  Le centre devrait être en mesure de donner les informations sur les interventions, guider les intervenants, recueillir les plaintes de la population, les demandes d’aide et les vérifier (à partir des interventions qui ont lieu et les acteurs sur le terrain).

·         Unifier (concerter) les méthodes et les stratégies d’intervention des grandes ONGs.  Elaborer et définir des lignes de responsabilité claires et publiques.  Qui est responsable de quoi ?  Dans quelle zone ? Comment s’organise la collaboration entre le Gouvernement / la communauté internationale / les ONG / les institutions caritatives ?  Ils sont tous sur le terrain.  Leur action doit être complémentaire, de sorte qu’aucune localité ou groupe vulnérable ne soit oubliée ; c’est le sens de la coordination.

o       Il est inadmissible que, plus de 3 semaines après le séisme, il y ait toujours des zones qui n’ont pas été visitées ou touchées par les interventions.  Des exemples sont les zones les plus touchées comme à l’intérieur de Carrefour Feuilles, Caridad, en haut Crois de Prez, …

·         L’aide doit se faire de façon qui respecte les sensibilités des gens : « donner » de l’aide ; assurer à ce que les groupes faibles en reçoivent (enfants, handicapés, femmes, malades).  Les forces de l’ordre doivent éviter pressions et brutalités physiques inutiles.

 

4.      L’insécurité

·         L’information et les consignes concernant la sécurité donnés à la population doivent être corrects ; sans alarmisme, mais clairs. 

·         Créer des structures pour porter plainte en cas d’actes de violence, de viols, etc.

o       Exemple : Publier les numéros de téléphone à contacter.   Des numéros simples, faciles à mémoriser et qui fonctionnent.

·         Mettre sur pied un système d’intervention rapide par la PNH et les forces de sécurité :  Assurer la coordination entre PNH / Minustah / l’armée des Etats Unis / les autres forces / …

·         Des mesures spécifiques de répression de l’insécurité doivent être prises, comme pour assurer la sécurité des transports et de la distribution de l’aide.

·         Toutes les interventions des forces de l’ordre doivent se faire dans le respect des droits des personnes.

 

5.      Des réalités à considérer :

·         Le rôle des magistrats communaux dans l’urgence.  Ils n’ont jamais été impliqués dans un projet réel de décentralisation ; ils n’en n’ont pas l’expérience et ne disposent pas de la logistique. 

o       Est-ce que la Protection civile n’avait pas une structure d’encadrement mieux expérimentée ?

o       De toute façon il faut des structures et mécanismes de contrôle qui permettent la population de vérifier, de porter plainte – même quand tout est terminé.

·         Le secteur informel se montre dynamique, créatif et vivant.  Il forme un circuit important pour combler les déficiences de l’aide.  Seulement, il y a un problème pour son approvisionnement, tellement tout est centré sur l’aide d’urgence qui ne retrouve même pas la population.  L’approvisionnement du secteur commercial doit être assuré : les importations, les formalités de douane, la sécurité de l’approvisionnement.  Sinon, avant longtemps tout le monde est dans la rue dépendant de l’aide alimentaire.  Si l’approvisionnement n’est pas assuré, et bientôt la production agricole locale, c’est l’aide alimentaire qui sera vendue bientôt … et à des prix de spéculation.

·         La question de la reprise des écoles.  Le Gouvernement doit se concerter avec le secteur privé sur toute initiative qui concerne la reprise des écoles dans les zones touchées par le séisme.  Les élèves sont traumatisés ; les corps de nombreux camarades de classe se trouvent toujours sous les décombres.  Toute initiative demande une réflexion, des informations et motivations claires, une concertation avec les personnes et secteurs concernés.

·         Le séisme a créé de nouveaux groupes de personnes vulnérables :

o       Les enfants qui sont devenus des orphelins, les restaveks qui ont perdu leur « protecteur », les enfants de rue.  Il faut des mesures contre ceux et celles qui veulent profiter de la situation pour les abuser et exploiter.

o       Les handicapés (le nombre des amputations effectuées monte à des dizaines de milliers) : Il faut le suivi médical ; il faut la réhabilitation le plus que possible ; l’accompagnement psychologique.  Dans un bref délai, il faut dynamiser la Secrétairerie d’Etat des handicapés – pour élaborer des programmes en collaboration avec les ONG spécialisées dans la matière.

·         Les élections, les députes et la prolongation de leurs mandat : en ce moment, la question de la prolongation est une proposition insolite et indécente …  Ne faudrait-il pas plutòt renouveler le corps des décideurs ?

 

 

La Commission Justice et Paix soutient toute proposition qui demanderait la création d’un mémorial de l’événement du 12 janvier 2010.  Trop de victimes sont tombées : des jeunes, des intellectuels, des membres et dirigeants de communautés religieuses et organisations sociales.  Les morts ont été déposés / jetés  dans des fosses communes sans cérémonie, sans identification.  La douleur de la population est trop grande pour qu’on puisse passer outre.  Il faut un mémorial, là où les corps ont été jetés à la hâte : Titanyen, Mariani ou ailleurs, pour qu’on puisse se souvenir de tant de personnes et de tant d’êtres chers.

 

 

P. Jan Hanssens,

Commission Nationale Justice et Paix

3 fevrier 201 

Publié dans Communiqués

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